Il y a des jours comme ça où le présengt n'arrive pas à faire surface. On reste au passé. Il y a plus de dix ans que j'ai la tête pleine de messages jamais envoyés, de lettres à demi rédigées, de scènes qui ne se joueront jamais. Certains jours, la collection de tous ces écrits fantômes pèsent un peu plus lourd. J'en ai rempli des carnets, des blogs, des petits bouts de papier, des brouillons de mail, des coins de page. J'ai essayé de mettre en scène mes rêves pour t'y rencontrer, y faire se dérouler tout ce qui n'a eu aucune chance d'arriver. J'ai cru dix fois, cent fois avoir réussi à trouver l'équilibre sans toi.
Je n'y arrive pas. Je continue à t'écrire dans ma tête, à espérer un signe de toi. Je continue à analyser chacuns de ces précieux signes, en essayant d'y lire ton état d'esprit, est-ce que tu vas bien, est-ce que tu es heureux. Est-ce que tu penses à moi parfois autrement qu'à une bonne copine à qui on peut tout dire? J'ai fait ma vie, mais. Il yreste toujours ce "mais",comme une arrière-pensée fugace et lancinante, un éclair d'autre chose qu'on ne peut pas bien voir, et qui laisse le goût de ce qui aurait pu se passer. Comme une fenêtre vers une autre vie, un autre monde.
Il y a les jours où un visage dans la rue me rappelle le tien, une banalité du quotidien me rappelle un fou rire partagé, il y a aussi certains de tes mots qui me reviennent. Il y a l'image un peu chiffonnée d'un amour de jeunesse, une semaine de parenthèse un peu étrange, qui n'a pas eu lieu au bon moment. Il y a l'impression très claire de tes lèvres au coin des miennes à un moment volé, le regret d'avoir hésité, le point d'interrogation. Il y a cette autre fois, la pression légère de ton bras sur le mien, la main que tu me tendais pour descendre les rochers. Tes bras autour de moi sur ce banc perdu en pleine forêt, et quelques mots que je n'ai pas oublié.
C'est comme une collection de fragements, des fragments d'un objet qui a dû être très beau, mais qu'on a du mal à reconstituer. Il en manque. L'objet n'a jamais été terminé. C'est comme un potentiel non réalisé. C'est presque, mais pas. Presque, ça fait plus mal que pas, en fait.
Tu reviens toujours dans les moments les plus inattendus, pour disparaître aussitôt. Et moi je n'ai pas le temps de te dire tout ce que je voudrais. En fait tu le sais déjà, mais tu n'as pas trop envie de l'entendre, peut-être.
Alors je ne dis rien, et la collection de lettres fantômes s'agrandit.